samedi 28 février 2009

La mort existentielle

Quelques unes de me recherches sur le sens de la vie , soirée de réflexion commune info +

I) La mort comme avènement de l'absurdité existentielle : Epicure et Spinoza


Epicure : Le quadruple remède épicurien se résumé ainsi :
les dieux ne sont pas à craindre ;
la mort n'est pas à craindre ;
la douleur est facile à supprimer ;
le bonheur est facile à atteindre.

L'épicurisme conçoit le bonheur dans le repos ; à l'image de sa conception des dieux, l'homme sage est retiré du monde, il vit dans la quiétude, entouré d'amis.
Accoutume-toi sur ce point à penser que pour nous la mort n'est rien, puisque tout bien et tout mal résident dans la sensation, et que la mort est privation de nos sensations. Dès lors la juste prise de conscience que la mort ne nous est rien autorise à jouir du caractère mortel de la vie: non pas en lui conférant une durée infinie, mais en l'amputant du désir d'immortalité. Il s'ensuit qu'il n'y a rien d'effrayant dans le fait de vivre, pour qui est radicalement conscient qu'il n'existe rien d'effrayant non plus dans le fait de ne pas vivre.

Stupide est donc celui qui dit avoir peur de la mort non parce qu'il souffrira en mourant, mais parce qu'il souffre à l'idée qu'elle approche. Ce dont l'existence ne gêne point, c'est vraiment pour rien qu'on souffre de l'attendre ! Le plus effrayant des maux, la mort, ne nous est rien, disais-je : quand nous sommes, la mort n'est pas là, et quand la mort est là, c'est nous qui ne sommes pas ! Elle ne concerne donc ni les vivants ni les trépassés, étant donné que pour les uns, elle n'est point, et que les autres ne sont plus.

Spinoza :
«L'homme libre ne pense à rien moins qu'à la mort, et sa sagesse est une méditation, non de la mort, mais de la vie.» «L’homme libre, c'est-à-dire celui qui vit selon le seul commandement de la Raison n‘est pas conduit par la crainte de la mort , mais désire le bien directement, c’est-à-dire qu’il désire agir, vivre et conserver son être selon le principe qu’il faut chercher l’utile qui nous est propre. Et par conséquent, il ne pense à rien moins qu'à la mort; mais sa sagesse est une méditation de la vie.»

II) La mort comme négation d'un sens existentiel : Freud et Nietzsche
Freud : Le deuil* et la mélancolie* sont une réaction à la perte d’un objet aimé, que ce soit une personne, un animal, un idéal, une valeur, la santé, la patrie, etc. Ils se traduisent par une dépression* douloureuse, une absence d’intérêt pour le monde extérieur, une incapacité d’aimer et l’inhibition de toute activité. Ils s’accompagnent d’une dépréciation de soi et d’un sentiment de culpabilité*. Ainsi, la perte de l’objet se transforme en une perte du moi, parce que la personne, s’étant investie dans cet objet de façon narcissique, s’identifie entièrement à lui. Si cet objet disparaît, la personne ne se trouve plus de raison d’être et pourra vouloir disparaître à son tour. Vidé de son objet, le sujet s’évide. Comment expliquer que le moi, qui s’aime d’un amour libidinal, puisse en arriver à se supprimer? Cela deviendra possible dans la mesure où la volonté suicidaire est le résultat d’un retournement de soi contre autrui. En effet, le moi n’abolit pas l’amour, qu’il se voue à lui-même, mais il tue en tuant le moi modifié, devenu autre par identification à son objet.

«Si tu veux la vie, sois prêt à consentir à la mort», car il considère la mort comme une nécessité interne de toute vie, malgré toutes les spéculations qu’il a pu faire sur l’hypothèse de l’immortalité de la vie à partir de ses expérimentations cliniques".

Friedrich Nietzsche : Le malade est un parasite de la société. Arrivé à un certain état, il est indécent de vivre plus longtemps. […] Mourir fièrement lorsqu’il n’est plus possible de vivre fièrement. La mort choisie librement, la mort en temps voulu, avec lucidité et d’un cœur joyeux, accomplie au milieu d’enfants et de témoins, alors qu’un adieu réel est encore possible, alors que celui qui nous quitte existe encore et qu’il est véritablement capable d’évaluer ce qu’il a voulu, ce qu’il a atteint, de récapituler sa vie. […] Il s’agit ici, en dépit de toutes les lâchetés du préjugé, de rétablir l’appréciation exacte, c’est-à-dire physiologique, de ce qu’on appelle la mort naturelle: cette mort qui, en définitive, n’est point naturelle, mais réellement un suicide.

"Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c'est nous qui l'avons tué ! Comment nous consolerons-nous, nous, meurtriers entre les meurtriers ! Ce que le monde a possédé de plus sacré et de plus puissant jusqu'à ce jour a saigné sous notre couteau; qui nous nettoiera de ce sang ? Quelle eau pourrait nous en laver? Quelles expiations, quel jeu sacré seront nous forcés d'inventer ? La grandeur de cet acte est trop grande pour nous. Ne faut-il pas devenir Dieu nous-mêmes pour, simplement, avoir l'air dignes d'elle ? Il n'y a jamais eu d'action plus grandiose, et, quels qu'ils soient, ceux qui pourraient naître après nous appartiendront, à cause d'elle, à une histoire plus haute, que jusqu'ici, ne fut aucune histoire !"
(Friedrich Nietzsche / 1844-1900 / Le Gai Savoir)

"Après la mort de Bouddha, l'on montra encore pendant des siècles son ombre dans une caverne, - une ombre énorme et épouvantable. Dieu est mort : mais, à la façon dont sont faits les hommes, il y aura peut-être encore pendant des milliers d'années des cavernes où l'on montrera son ombre. - Et nous - il nous faut encore vaincre son ombre!"
(Friedrich Nietzsche / 1844-1900 / Le Gai Savoir - Luttes nouvelles)

"Serait-ce donc possible? Ce saint vieillard, en sa forêt, encore n'a pas ouï dire que Dieu est mort !"
(Friedrich Nietzsche / 1844-1900 / Ainsi parlait Zarathoustra)

"Je vous en conjure, mes frères, restez fidèles à la Terre et ne croyez point ceux qui parlent d'espoirs supraterrestres. Autrefois le blasphème envers Dieu était le plus grand blasphème. Mais Dieu est mort; et avec lui sont morts les blasphémateurs. Ce qu'il y a de pire maintenant, c'est le blasphème envers la Terre, c'est d'estimer les entrailles de l'"Impénétrable" plus que le sens de la Terre…"
(Friedrich Nietzsche / 1844-1900 / Ainsi parlait Zarathoustra)

"Aucun Dieu n'est mort pour le rachat de nos péchés ; il n'y a pas de salut par la foi ; pas de résurrection après la mort tout cela ce sont les fausses monnaies du christianisme véritable et ces malheureux cerveaux brûlés sont responsables de cette supercherie."
(Friedrich Nietzsche / 1844-1900 / Volonté de Puissance)

"Homme supérieur, ce Dieu a été votre plus grand danger, vous n'êtes ressuscités que depuis qu'Il est dans la tombe, c'est maintenant seulement que vient le grand midi, à présent l'Homme supérieur devient Maître, maintenant seulement la montagne de l'avenir va enfanter, et Dieu est mort, maintenant nous voulons que le Surhomme vive."
(Friedrich Nietzsche / 1844-1900 / Volonté de Puissance)

III) La mort comme fondement du sens de l'existence : Heidegger et Blanchot

Heidegger : L’inauthenticité c’est le présent qui nous éloigne de notre propre être par la préoccupation quotidienne. Heidegger accorde une priorité au futur – non pas comme actualité – mais comme possibilité. Le futur n’est pas pensé comme extension du présent, comme modelé par le présent mais comme une projection vers la possibilité la plus propre du Dasein. La priorité accordée à la futurité est destinée à nous détourner, à nous détacher des préoccupations du présent. C’est le futur – comme possibilité existentiale – qui prime sur le présent. La résolution constitue la modalité du souci authentique. La résolution c’est la capacité de s’arracher des préoccupations quotidiennes, de choisir un mode d’être qui permet à la possibilité la plus propre d’advenir. La résolution est pensée comme arrachement, non pas du monde quotidien, mais des préoccupations de l’être-au-monde. « L’unité originaire de la structure du souci réside dans la temporalité. » La résolution est toujours devançante car l’arrachement se réalise en vue d’un futur, par anticipation.

« Le Dasein (littéralement "Être-là" c'est-à-dire l'existence humaine pensée comme présence au monde ou "Être au monde") est un étant (c'est-à-dire, l'existant, l'être réel, concret) qui ne se borne pas à apparaître au sein de l’étant. Il possède bien plutôt le privilège ontique suivant : pour cet étant, il y va en son être de cet être. […] La compréhension de l’être est elle-même une possibilité d’être du Dasein. Le privilège ontique du Dasein consiste en ce qu’il est ontologique. » (Être et Temps).

Autrement dit, l'homme est cet étant ontologiquement privilégié en ceci qu'il a toujours déjà une certaine entente de l'être, non une connaissance, mais une certaine compréhension implicite et non thématique de ce que signifie « Être » pour les étants (les choses qui sont) qui l'entourent. La connaissance de l'étant est dite ontique : la science est un exemple de connaissance ontique en ce qu'elle n'interroge jamais les présupposés de ses relations aux objets. La question de l'être de l'étant, quant à elle, est dite ontologique.

Cet " être-au-monde ", il faut le comprendre et l’apprendre. Apprendre, c’est simplement stocker des connaissances alors que comprendre, c’est être bien adapté à quelque chose, c’est témoigner sans avoir même besoin de parler que l’on est capable d’agir dans une activité, une situation etc. Le Dasein comprend lorsqu’il pénètre de son propre mouvement vers le possible Lorsque le Dasein ne comprend il génère l’angoisse : quand la peur est toujours crainte de quelque chose, l’angoisse est expérience du rien et du nulle part. Nous prenons conscience que l’existence est absurde c’est à dire privée de sens. Nous sommes " l’être-hors-de-chez-soi " c’est à dire confronté à cette propension au possible qui caractérise le Dasein et qui ne reconnaît nulle chose ou nul lieu comme fixation acceptable.

Le Souci et l’être-pour-la-mort.
L’être-en-avant-de-soi qui correspond à cette projection vers les possibles qui caractérise le Dasein, cette impossibilité de jamais coïncider avec soi. Exister, c’est être "hors de" (ex-sistere, selon l’étymologie).
L’être-déjà-dans-un-monde : la projection vers les possibles est projection dans un monde qui prend son sens de monde dans ce "projeter".
Le comme-être-auprès décrit l’enjeu de l’authenticité et de l’inauthenticité pour l’homme. Nous fuyons l’angoisse. L’homme cherche à se dissimuler son être.La mort est ainsi le noyau même de la vie. Dès qu’un homme naît, il est assez vieux pour mourir. La mort est d’autant plus au fondement de l’individualité qu’il est impossible de partager sa mort. Toute mort est solitaire et unique. La vie authentique est celle qui se sait sans cesse promise à la mort et l’accepte courageusement et honnêtement. Il faut traquer tout ce qui nous pousse à nous cacher la mort.

L’Être nous donne l’étant. L’Être soustrait l’étant du néant, le sort de l’occultation. Il y a des choses (de l’étant) puisque l’Être nous les donne. Il est cet événement qui fait que toute chose qui est (tout étant) se tient dans l’Être et vaut comme étant. Il n’est donc rien puisqu’il ne se confond avec aucune chose.

L’Être est langage. C’est dans la parole qu’il se donne. Les choses en effet sont les choses telles que nous les vivons, les accueillons et les intégrons à notre monde. Nous nommons les choses et c’est la parole rapportant leur présence qui donne les choses pour ce qu’elles valent pour nous.

Blanchot :

La mort est singulièrement familière pour Blanchot, homme toujours malade gravement, et pourtant toujours vivant, toujours ainsi dans l'intimité de la mort, toujours dans la connivence, l'intimité, la proximité de la mort.

Mais la mort n'est jamais proche, elle est toujours le plus lointain, l'expérience impossible, le défaut de témoignage. De fait, la mort procure une espèce d'infinie légèreté pour celui qui la côtoie comme sa voisine : l'écrivain.

La mort, pour Blanchot, est au cœur même du processus poétique et s'il étudie tout particulièrement les auteurs dans la naissance de leur œuvre (lettres d'Artaud à Jacques Rivière, Journal de Kafka et celui de Virginia Woolf), il saura peu à peu montrer combien la littérature, si proche de la philosophie mais au contraire, dévastatrice, donne corps à la pensée de la mort si bien que, à terme, mort et pensée même ne sont qu'une seule et même chose (ainsi débute Le pas au-delà)

Le raccourci peut être abrupt, mais il est le fruit d'une écriture patiente, éternelle, et le Pas en est une étape supplémentaire. Il se trouve par ailleurs que Blanchot vivra vieux, et verra disparaître ses amis, fidèlement, l'un après l'autre, et la parole de Blanchot, sur le tard, aura pour une part cette forme d'hommage. L'amitié, le dernier livre critique au sens premier du terme (qui n'est pas sous la forme de fragment) en marquera la pierre de touche.

Devant le vide alors donné par la vie même, Blanchot donnera peut-être l'une des clefs capitales à la compréhension de son œuvre, un court récit, L'instant de ma mort, décrivant comment le narrateur échappe, de justesse à la mort par fusillade durant la dernière guerre. Ce texte, paru en 1994, dessine peut-être la fin d'une œuvre, il marque en tout cas un cran décisif dans l'ensemble des thèmes que Blanchot a travaillé au fil de ses livres.

« * Mourir serait, chaque fois, là où nous parlons, ce qui retient d'affirmer, de s'affirmer, comme de nier. »
— (Le pas au-delà, p. 94)

Cela, qui est aussi le neutre, et qui est assez proche de ce que Levinas nomme l'il y a, ressort de l'écriture même, et associe dans le même mouvement la mort, le désastre, le désœuvrement :

« Ecrire, c'est ne plus mettre au futur la mort toujours déjà passée, mais accepter de la subir sans la rendre présente et sans se rendre présent à elle, savoir qu'elle a eu lieu, bien qu'elle n'ait pas été éprouvée, et la reconnaître dans l'oubli qu'elle laisse et dont les traces qui s'effacent appellent à s'excepter de l'ordre cosmique, là où le désastre rend le réel impossible et le désir indésirable. »
— (L'écriture du désastre, pp.108-109)

1 commentaire:

Longboard.dossen a dit…

il est toujours plaisant de passer sur ta page Robert pour une pause méditation. Merci. J'espère que tu te portes bien.

Ronan